Chapitre 3 partie 1

Par un beau samedi matin de septembre, Charles et sa femme se rendirent à Salon-de-Provence. Florence était très gaie et riait sans cesse, ce qui réchauffait le jeune homme : ces derniers mois, il avait dû trop souvent la dorloter pendant ses crises de déprime. Assise à côté de Charles au volant, Florence, dans une envolée d’imitations de Piaf, chantait de vieilles chansons sur Paname et l’angoisse d’amour.

– Ça ne t’ennuie pas si je suis la petite Edith au lieu de cette asperge de Gréco ? dit-elle dans un souffle lors d’un intermède de récupération.
– Non, bravo ! Mon cœur va vers les malheureux de Belleville et non vers les paumés du petit Saint-Germain.

Charles aurait voulu lui insuffler toute l’énergie du monde.

Florence chanta avec force « Emportés par la foule » où deux êtres se rencontrent, puis se perdent, l’espace d’un instant, le temps d’une ronde.

Ils arrivèrent à Salon où ils allaient peu, préférant Forcalquier ou Aix. Florence était heureuse ce jour-là ; elle se sentait plus près de la mer, elle imaginait les plages, l’horizon. Elle aimait l’eau, elle aimait quand on regarde au loin. La côte lui plaisait d’ailleurs, elle était aussi en réaction contre le parti pris « nature » de Charles, contre son intolérance et sa mauvaise humeur à l’égard des touristes. Il l’agaçait singulièrement quand il commençait ses discours anti-aoûtiens, discours dépassés : Charles était un ex-adolescent qui s’accrochait à sa jeunesse. Elle le trouvait obstiné, un peu ridicule. Sans le dire, elle agissait avec lui comme une maman qui laisse à son gosse ses vieux jouets délavés, ses nounours pelucheux, pour ne pas le chagriner, lui accorder ses derniers moments d’insouciance. Mais trop souvent, elle le jugeait « vieux jeu ». « Quand va-t-il arrêter de grincher de cette façon ? songeait-elle. On lui donnerait cinquante ans (cinquante ans d’adolescence !) et il s’imagine neuf et ouvert ! Le jour où il se fera traiter de gâteux par un jeune, il ouvrira des quinquets pleins de clarté pure et innocente !

Charles avait à faire avec un ami de la ville ; ils devaient reconstruire une grange, plus haut dans le pays. Il abandonna Florence à ses courses. La jeune femme n’était pas une passionnée des emplettes ; elle quitta très vite la rue principale pour aller au château où elle avait assisté à plusieurs concerts (Charlelie Couture…) qui avaient lieu en été dans l’enceinte. Les arènes, d’une couleur ocre adoucie par la lumière de septembre, étaient presque vides. Florence ne prêta guère attention aux deux hommes pas très éloignés d’elle qui parlaient dans un coin d’estrade. Elle ne remarqua qu’une chose : l’un d’eux portait une espèce de chapeau –ce qui était rare à cette époque- noir et informe.

Florence resta debout, rêveuse. Elle était fatiguée après son numéro lyrique de tout à l’heure. Ces rapides changements d’humeur étaient fréquents, elle était « cyclothymique », mot qu’elle adorait et resservait à peine quelqu’un lui reprochait-il son caractère. « Que voulez-vous, disait-elle d’un ton fataliste, je suis cyclothymique ! », ravie d’expliquer quand l’interlocuteur ne comprenait pas.

Elle vaquait d’une chanson de Bourvil à une de Montand (en passant par une d’Higelin). Elle voguait du Havre à Marseille. Mais son cœur appartenait au Nord, tout du moins à la moitié supérieure de la France, ah ! le Nord !


(Voir la suite Suite)

♦ Carzon Joëlle ♦

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