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Chapitre XXXIII – Rencontre

J’ai rencontré Théo Daudin sur le marché d’Y. C’est bizarre, il a achetait un ananas frais et n’était pas entouré, selon son habitude, par une cohorte de lèche-bottes… Ce qui était encore plus bizarre, c’était son regard, un regard flou, un regard de zèbre égaré en banlieue parisienne… J’ai compris tout à coup ce qui me gênait : il n’avait pas ses lunettes habituelles. Comme j’étais près de lui au rayon fruits, il a semblé me reconnaître (je ne savais pas qu’il me connaissait) :
– Mademoiselle Marty, enchanté de vous voir ! Mais on n’a plus le plaisir de rencontrer votre père… Est-il malade ?
– Non, il va très bien.
– La politique ne l’intéresse-t-elle plus ?
– Mais si, bien sûr que si !
– Qui sait ? On peut se lasser… Même au bout de trente ans… ou plus pour monsieur Marty. Vous-même mademoiselle ne paraissez pas vous intéresser vraiment à la chose…, n’est-ce pas ? Quant à votre frère…

Il me fixe tout à coup comme s’il avait retrouvé ses lunettes. Attention, je me sens plutôt fragile ces derniers temps, mon sac de pommes tressaille entre mes mains, je baisse les yeux. Théo Daudin découvre le regard, apparemment il ne veut pas m’embêter, il soupire…
– … Je vois votre frère, parfois, à vrai dire de plus en plus souvent, et je pense alors que la machine s’est déréglée… Chez moi également, mes enfants ne s’intéressent plus à ce qui nous fit vibrer, moi, mon père, mon grand-père…

Je pourrais lui répondre que je m’en fous, de lui, du R., et de ses états d’âme, mais cette allusion à ses enfants m’interpelle : ainsi il existe des petits Daudin, cet homme-là a eu des enfants et achète des ananas frais…

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♦ Carzon Joëlle ©

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