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Chapitre XXVIII – Un abandon
La clochette a tinté sur une Bérangère inconnue, un visage à la sérénité perdue, des jambes flageolantes, des bras de moulin à vent éperdu. Elle bafouille, essaie de nous parler, en vain… Elle tripote le bas de sa robe, ses poches, finit par nous tendre un bout de papier de rien, de cette sorte qu’on laisse sur un coin de table avec écrit dessus : « Parti chercher une baguette. De retour dans dix minutes. » Mais « de retour dans dix minutes » il n’y a pas ; à la place ces mots incroyables tracés d’une main appliquée de petit garçon gâté par sa maman : « Chère Bérangère, je suis parti pour toujours. Tu ne me reverras jamais, et la famille ne me reverra pas non plus. Dis à ma nièce que c’est elle que je regretterai le plus, mon rayon de soleil. Il ne faut pas que ce rayon de soleil s’éteigne aussi. Dis-lui de ne pas s’éteindre, elle comprendra. J’en ai marre de tout ça. Ailleurs ce ne peut être que mieux. Ne cherche pas à me retrouver car, de toute façon, tu n’y arriveras pas. Adieu et sans regret. Patrick. » Dur de dur. Ce n’est pas mon oncle… Aurore presse sa bouche contre ses mains. Je suis obligée de relire ce truc… Je croyais que l’oncle resterait auprès de Bérangère toute sa vie, à cause d’Aurore. L’oncle s’est barré et je me suis plantée. Je commence à me demander si je ne me plante pas un peu trop souvent… Je me croyais très forte, la reine des psys, je me croyais incollable sur les miens, du style : Aurore est raide dingue de papa, Luc est mon frère-mon âme-mon jumeau collé à moi à la vie à la mort, l’oncle restera scotché à Bérangère, à nous, pour toujours… Mes yeux se brouillent sur le mot étrange étranger de l’oncle… Ma bouche s’assèche et je suis obligée d’avaler ma salive, incapable d’expliquer quoi que ce soit à Luc qui vient de rentrer ; c’est Aurore qui, de sa petite voix appliquée, brièvement, le regard inquiet posé sur ma tante immobile au coin de la table, dit à mon frère ce qui vient d’arriver. Je dois reconnaître que Luc a l’air scié, lui aussi. « Ça pour une nouvelle… » marmonne-t-il.
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♦ Carzon Joëlle © ♦
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Belle écriture !
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Merci beaucoup ! Cela me fait plaisir aussi qu’on m’écrive. Suite de « 7, rue Pierre-Brossolette » très vite. Littérairement vôtre. JOELLE C.