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IX – Alain, Paris toujours
Le romanesque, c’est le bruit des chevaux au galop lancés sur une route de province ; c’est une jeune fille traversant un parc en courant, les cheveux ébouriffés ; c’est le vent dans les pins une nuit d’été… Mais est-ce aussi un jeune homme sans le sou, sac au dos, quittant une ville de province pour monter à Paris, un jeune homme, ce jeune homme barbu, sans ambition précise ?
Pierre ne se trouvait pas romanesque. Il ne se jugeait pas encore lamentable. Il était à mi-chemin : partagé entre son orgueil et ses hésitations comme il était partagé entre la province et Paris.
Ce n’était pas la première fois qu’il montait (re-montait !) à Paris. Il ne savait trop ce qu’il allait faire dans la capitale. La même chose qu’ailleurs sans doute, la même galère : trouver un toit, un job, une petite amie. Trouver un lit et une épaule où poser sa joue lorsqu’il raconterait ses malheurs : l’enfance malheureuse, le garçon traqué, la prison militaire… Parfois, Pierre s’observait lui-même et se demandait s’il n’était pas « ignoble ». Il mettait un certain art de la comédie dans ses histoires, et il racontait tant, il racontait si bien qu’il n’en revenait pas et se demandait s’il n’était pas en train d’inventer. Etait-il sincère lorsque les larmes montaient à ses yeux ? Etait-il sincère lorsqu’il décrivait sa grand-mère, mégère grasse et laide qui n’ouvrait la bouche que pour crier après les enfants ? Etait-il sincère lorsqu’il parlait de sa solitude, lui le garçon rieur, tout-fou, animé, enthousiaste, qui retenait l’attention dès les premiers mots, lui créature ensorceleuse et vive dont beaucoup étaient déjà tombés amoureux ?
Etait-il sincère lorsque, dans sa bouche, sa vie prenait l’aspect d’un romanesque le plus dingue, d’un romanesque à faire perdre la tête à tout artiste ?
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♦ Carzon Joëlle © ♦
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