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VI – Le retour
La compagne de Patrice, Nelly, était enceinte. Nelly n’était pas plus jolie que Sonia ou Lucie, mais comme elles, elle avait un charme particulier. Le sien tenait de l’insouciance et de la friponnerie. Nelly, si féminine, venait alors de se raser la tête. Lucie la détestait d’avoir fait cela. La féminité lui semblait essentielle. Adolescence, Lucie n’avait pas su attirer, car elle se souciait peu de paraître. Elle sentait alors en elle une telle force qu’elle ne pouvait comprendre son manque de succès. La pauvre Lucie croyait naïvement qu’il suffit d’avoir une âme…
Depuis, elle avait changé. Elle croyait maintenant aux sourires, aux regards en biais, au maquillage, aux bas noirs, et aux cheveux joliment coiffés. Qu’on se fasse raser le crâne, étant femme, était presque criminel. Lucie demandait à Patrice : « Elle te plaît encore ? » sur un tel ton d’incrédulité qu’elle les faisait rire. « Je me suis habitué, répondait le jeune homme. Au début, cela m’a fait un peu drôle. Mais ce n’est pas vilain… »
Pour « meubler » son visage déjà menu, Nelly mettait de grandes boucles d’oreilles. Elle avait un nez retroussé qui lui donnait l’air indocile. Elle se vêtait de robes et d’écharpes indiennes aux mille couleurs. Elle dissimulait son corps trop mince et le parait. La liberté de son apparence était finalement sa propre liberté, cette liberté infinie que Lucie enviait et désirait, et que Sonia avait déjà abandonnée en adoptant ce grand dadais de Cyril.
Nelly apparut, toute légère bien qu’elle attendît un bébé. Alain, après une année passée au Canada, était revenu. C’était pour lui qu’ils avaient décidé de se réunir tous : Nelly et Patrice, Cyril et Sonia, Lucie et Pierre.
Une année sans lui avait été longue, débridée, avec des week-ends sans but pour Pierre et Lucie à qui Alain manquait parce qu’il était un stimulant à leur enthousiasme et à leur intelligence. Alain, ses yeux violets reflétant le dernier film vu, la dernière vague de rock and roll découverte ; Alain était un piment pour leur vie intellectuelle, un trouble flatteur dans leur vie sentimentale. Lucie, qui adorait Alain, était pourtant contente de lui avoir chipé Pierre.
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♦ Carzon Joëlle © ♦
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