(Quatrième partie)
CHAPITRE II – Le chien de Montargis

Dans “la Venise du Gâtinais”, chacun connaît l’histoire du chien de Montargis dont il existe une statue dans le jardin Durzy. Au Moyen Âge, le chien sauta à la gorge du bandit qui avait attaqué et tué son maître dans la forêt, et vengea son maître en égorgeant cette crapule.

François-Arnaud Anglet possédait dans sa chambre une représentation de cette statue. Il l’avait fait faire à un sculpteur de la région et il en était absolument enchanté. On n’avait pas songé à explorer les recoins de la statue lors de la première fouille et l’on découvrit la lettre de Thérésa glissée dans la gueule du chien. Elle était bien dissimulée, il y avait là un trou que personne n‘avait deviné. Jérémy Moreau s’empara de cette lettre avec satisfaction. L’enquête touchait à sa fin. Sa confrontation avec cette peste de Chantal Hautecœur s’achevait. Pourquoi la jeune fille avait-elle mis cette lettre là ? Pour dire : “C’est Anglet le responsable de la mort de mon amie” ? Pourquoi ne pas l’avoir détruite si elle voulait qu’on accuse Anglet d’avoir assassiné Té ? Ou alors elle avait voulu qu’Anglet lui-même découvre la lettre et succombe sous les remords ? Anglet ayant des remords : la jeune fille devait pourtant bien se douter qu’il n’en aurait pas…

Moreau lut la lettre en silence, puis la passa à Pommier qui lut à son tour :
“Je n’en peux plus, je n’en peux plus. Je me sens trop mal. Je ne comprends plus rien à ce qui se passe autour de moi.
Quand on me parle anglais, je ne comprends pas.
Quand on me parle français, je ne comprends que trop bien.
Je suis une ratée, alors je préfère m’en aller. Ça vaudra mieux pour tout le monde.
Adieu, ma forte Cha, tu aurais pu me transmettre ta force.
Adieu, monsieur François-Arnaud, qui fit de moi une putain.
Adieu, mes parents et mon petit frère que j’aimais.
Adieu, vie incompréhensible.
Thérésa Moreno.”

Pommier soupira, pensa qu’il aurait dû exister des centres de prévention du suicide.

– Que pensez-vous ? demanda-t-il à son chef.
– Cacher cette lettre à cet endroit était idiot. Cela m’étonne de mademoiselle Cha…
– Ce chien, ce chien qui a tué par vengeance, cela peut-être voulait dire quelque chose pour elle…

(“Ce Pommier a un peu de cœur, malgré ses idées rigides“, songea Moreau.)
– Mademoiselle Cha s’est prise pour Ulysse qui s’en fut achever les Troyens… Mais on n’achève pas monsieur Anglet comme ça. Il s’en foutra éperdument de cette lettre. Et il se remettra de tout ce cirque. Il appartient à une engeance qui s’en sort toujours.

Pommier observa le visage vindicatif de son chef. Mademoiselle Hautecœur et lui auraient pu se serrer la main, ils en voulaient profondément aux mêmes personnes.
– On convoque mademoiselle Hautecœur ?
– Oui…, dit Moreau mollement.
– Elle va nous raconter comment elle a fait pour traîner son amie dehors.
– Certes. J’en ai marre, Pommier, de ce suicide de merde.
– C’est notre lot, patron.
– Je préfère les meurtres, c’est plus rigolo.

*

Cha entra dans la chambre de François-Arnaud d‘un pas ferme. Mais un grand pli barrait son front, elle était échevelée, on la sentait à bout. Les deux policiers n’eurent pas le temps d’ouvrir la bouche, la jeune femme disait :
– Sortez Lucien Moreno de votre trou à rat. Il n’est responsable en rien. Il s’est contenté de m’obéir en tout point, le pauvre chéri. C’est moi qui ai tout manigancé. J’ai conscience d’avoir fait n’importe quoi, j’aurais dû me douter qu’on saurait très vite que c’était un suicide, mais j’avais un très fort désir que François-Arnaud paye ! Qu’il passe, je ne sais pas… ne serait-ce que deux ou trois jours en garde à vue. Que Moreau le tabasse une bonne fois… J’aurais voulu le voir sale, avec des gnons, suppliant qu’on lui permette d’appeler son avocat… Lucien en a assez bavé comme ça dans sa vie, vous ne croyez pas ? C’est toujours les mêmes qu’on arrête et qu’on accuse. C’est moi la coupable. C’est moi qui ai étranglé Té, qui l’ai mise dans le lavoir, qui ai attaché ses petites mains…


(Voir la suite Suite)

♦ Carzon Joëlle ♦

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