(Quatrième partie)
CHAPITRE IV – Ce que fera Cha

– Vous passerez demain au Commissariat à la première heure pour signer votre déposition, dit Pommier froidement.
– Dissimulation de preuves et obstruction à la bonne marche de la justice, énuméra Jérémy Moreau en articulant bien chaque syllabe.
– Vais-je être poursuivie ? demanda Cha.
– Bien évidemment, prononça Pommier. Et vous serez, je l’espère, condamnée.

Cha regarda le visage intraitable du policier. Pommier incarnait à lui seul la police, la justice et le respect de la vérité à tout prix, quelle qu’elle fût. Moreau eut un large sourire.
– Que veut dire ce sourire, monsieur ?
– Je souris de soulagement que toute cette enquête soit finie et à la vision de la sale menteuse que vous êtes obligée de nous rendre les armes… Pommier, voulez-vous nous laisser seuls, mademoiselle Hautecœur et moi-même ?…

Pommier jeta un coup d’œil inquiet vers son chef.
-… N’ayez crainte, mon cher. Je vais juste expliquer à mademoiselle Hautecœur ce qui l’attend maintenant.

Pommier sortit, à demi-rassuré.

Moreau marcha quelques secondes de long en large. Quand il reprit la parole, il ne souriait plus.
– “Nous” ne pouvons pas faire grand-chose contre monsieur Anglet, mademoiselle Cha…
– Je m’en doute, monsieur, dit-elle en le regardant droit dans les yeux.
– Dommage…
– Oui, dommage.
– Elle était dépressive avant de mettre les pieds dans cette maudite demeure…
– Oui, je sais.
– Vous avez très mal agi, Cha, en l’entraînant dans le lit de ce porc…
– Je ne me suis pas rendu compte. Anglet m’amusait. Je me suis dit que Té prendrait du bon temps aussi…
– Vous aimiez vraiment beaucoup mademoiselle Moreno, n’est-ce pas ? Et peut-être étiez-vous la seule à l’estimer un peu…

Cha ferma les yeux.
– Elle était belle. Elle n’avait pas confiance en elle, mais elle était intelligente. Elle sentait bon. Elle avait le sens de l’humour et nous piquions de sacrés fous rires, toutes les deux. Quand elle allait mal, j’avais une sensation de pouvoir : j’avais l’impression que je pouvais la consoler.
– Erreur, erreur… Vous êtes trop sûre de vous, mademoiselle, vous avez été punie.
– Sûre de moi ? Le croyez-vous, monsieur Moreau ? Si j’étais sûre de moi, je ne serais jamais venue ici.
– Demain, vous êtes convoquée au commissariat. Et après, que ferez-vous ?
– Va-t-on me jeter au trou tout de suite ?
– Non. On vous laissera le temps de préparer votre défense.
– Et Lucien ?
– Pareil que vous. Il écopera de moins, je pense. Je suppose qu’on mettra ça sur le compte d‘un coup de folie : le pauvre frère ignorant qui veut venger sa sœur absolument en faisant accuser un innocent, un monsieur bien sous tous rapports… Ce qui est ennuyeux, c’est qu’il a déjà un casier judiciaire.
– Je prendrai tout sur mon dos. C’est moi qui ai tout dirigé. Je dirai qu’il m’a obéi aveuglément, qu’il était sous le choc…
– Je l’espère bien !
– Je vous jure, monsieur Moreau, que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que Lucien s’en sorte à peu près indemne. Té adorait son frère…
– Avez-vous des frères et sœurs, mademoiselle ?
– Hélas, non ! Je suis fille unique. Ma conne de mère a été incapable de se faire engrosser une deuxième fois.
– Je suis fils unique, moi aussi…

Ils évitèrent de se regarder, mais le policier sentait dans tout son corps la présence très forte de la jeune femme. Chantal Hautecœur, c’était “quelqu’un”. Obstinée, grossière, égoïste, rebelle, insupportable, douée… Quelqu’un.
– Vous êtes un sale type, conclut Cha avec un mince sourire.
– Entre hommes, on se comprend ! dit Jérémy Moreau, magnanime.

*

Ce soir-là, Bruno Fabre frappa à la porte de Cha. Elle lui dit d’entrer et il s’assit gauchement sur une chaise, pas loin du lit où elle était allongée.

– Laé m’a raconté tout ce que tu lui as expliqué…
– Oui… ? Elle a bien fait.
– Tu vas être poursuivie ?
– On va vouloir me faire payer, oui… Mais je m’en fous !
– Tu es vraiment une nana… incroyable !
– Tu m’en vois ravie.
– Nous nous en allons demain matin. Je veux dire : Laé et moi, nous nous en allons à Paris. Nous avons décidé de nous installer ensemble.

(“J’aurai quand même réussi à caser ma cousine !” pensa la jeune femme.)
Elle lui sourit.
– Excellente idée. Laetitia ne pouvait pas mieux tomber : tu es un jeune homme d’avenir.
– Elle aussi, Chantal, est une jeune fille d’avenir.
– J’ai beaucoup d’estime pour toi, Bruno. Crois-moi, c’est sans hypocrisie.
– Tu seras la bienvenue chez nous.
– Merci. Mais je pense que je vais partir vers des cieux plus cléments.
– L’Irlande ?
– Ouais… Peut-être. Je vous enverrai des cartes postales et un mouton frisé lors de la naissance de votre premier enfant.
– On n’en est pas encore là… Que va devenir Louis-Philippe et Marie-Amélie d’après toi ?
– Il va passer à la trappe ! Enfin, j’espère… Il vaudrait mieux que… “l’autre” ait un nouveau projet.
– Il en a déjà un.
– Lequel ?
– Le père Dumontel lui a commandé une histoire de sa famille.
– Génial ! Les Dumontel grimpant au firmament grâce à un auteur célèbre… Les bourgeois de Montargis vont devenir aussi connus que les bourgeois de Calais.
– Tu as les boules…
– Je les ai depuis toujours, les boules !


(Voir la suite Suite)

♦ Carzon Joëlle ♦

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