(Deuxième partie)
CHAPITRE VI – La vraie mort de Thérésa Moreno

– Je viens de parler avec Revelle, dit Moreau, comme nous nous en doutions et avant même l’autopsie, nous savons que Thérésa Moreno n’est nullement morte noyée.
– Comment est-elle morte ? demanda Pommier sans se troubler.
– Empoisonnement. Une ingestion mortelle de médicaments, sûrement des antidépresseurs.
– A vrai dire, cela ne m’étonne pas.
– Moi non plus. La demoiselle avait sa dose. Sa dose d’ennuis. Elle croulait sous les problèmes, la pauvre chérie… Son suicide dans la maison d’un riche écrivain aurait pu lui paraître une apothéose. Pfuit ! Je me suicide chez François-Arnaud Anglet et du coup je me venge de tout le mal que la société m’a fait !
– Oui, mais voilà : pas de lettre d’adieux…
– … Et pas de mort de princesse dans un lit aux draps blancs, dit Jérémy Moreau. Elle ne s’est pas allongée dans son lit pour mourir, comme le font toutes les nénettes désespérées, elle a avalé ses trucs, s’est étranglée, s’est glissée dehors pour se plonger sous l’eau de la rivière !
– On l’a étranglée post-mortem ?
– Oui. Ce que nous devons savoir, c’est si elle a avalé les médicaments dans la maison ou si elle les a avalés au lavoir… Non. Cela m’étonnerait.
– Elle s’est suicidée dans sa chambre, comme elles le font toutes, puis on l’a transportée.
– Ou on l’a suicidée ?
– On lui aurait fait avaler tout ça sans qu’elle s’en doute ? grimaça Pommier.
– Ou alors c’est une suggestion maléfique. Imaginez, cher collègue, ce n’est pas difficile à imaginer dans cette demeure de pervers : Anglet et son acolyte Hautecœur, las de lui faire faire la pute, manigancent un scénario pour s’exciter. Ils l’obligent à avaler tous les médicaments pour qu’elle leur prouve je ne sais quoi… Sa fidélité, son obéissance, que sais-je?
– Mais c’est vraiment horrible ! dit Pommier qui trouvait fort suspecte l’imagination débridée de son chef. Où allez-vous chercher tout ça ? Je pense que l’explication doit être beaucoup plus simple : monsieur Anglet découvre le suicide de la jeune fille et il préfère encore qu’on croit au meurtre d’un voyou de passage plutôt qu’on découvre qu’elle était désespérée dans sa propre maison et qu’il l’a laissée mourir dans la plus grande indifférence…
– Un suicide déguisé en meurtre, dit le policier, très intéressé, comme l’affaire Calas !
– Calas ?
– Un Protestant sans envergure, Pommier. Au XVIIIe siècle.
– Ah !
– Votre hypothèse me plaît bien, mon cher. C’est on ne peut plus vrai que cette pauvre fille a été abandonnée de tous dans une maison où l’on ne pense qu’à écrire une idiotie de roman historique au lieu de soulager les misères de ses frères (ou sœurs en l’occurrence) humains ! Elle a été méprisée, humiliée, négligée ! Anglet a maquillé le suicide pour passer encore pour le héros de service. Et cette sorcière de Cha l’a aidé à transporter le corps…

Pommier réfléchissait.
– Si c’est effectivement un suicide, il nous faut trouver la lettre. Et la boîte de médicaments. Et une ordonnance… Il y a forcément une lettre d‘adieux. Ou des restes de la lettre, des cendres quelque part… Et un appel téléphonique de détresse qu’elle aurait donné à sa famille, par exemple…
– Et si c’est un assassinat, il nous faut trouver qui l’a fait, s’il s’agit d’un ou de plusieurs coupables, et comment on a mis cette abomination à exécution. Branle-bas le combat. On ratisse l’endroit au peigne fin ! Sus d’abord sur la lettre d’une suicidée !

*

On découvrit l’ordonnance des antidépresseurs signée d’un médecin de Paris dans la chambre de la victime. Il n’y avait pas trace de la lettre d’adieux, il n’y en avait pas trace, mais naturellement on trouva le journal de mademoiselle Queneau. Jérémy Moreau le lut avec soin et il fut prodigieusement agacé. Cette petite se révélait une groupie débile. Il n’apprit rien de plus qu’il ne savait déjà. Comment les femmes peuvent-elles perdre leur temps ainsi en débitant des niaiseries dans des cahiers d’écolière ? Cette idiote n’avait rien à dire et ne disait rien. François-Arnaud Anglet ne l’avait pas touchée, rien d’étonnant vu l’ennui qu’elle dégageait, cette gourde… “Je suis sûre que j’ai vu quelque chose ou entendu quelque chose, écrivait-elle cependant, je vais y réfléchir.” “Qu’elle réfléchisse vite !” pensa le policier.

Pommier regarda son chef lire le journal avec un air affiché de reproche. On ne viole pas les secrets des demoiselles. Il avait beau être conscient que c’était pour les besoins de leur enquête, quand même… Laetitia Queneau était “une fille bien” et il était sûr, avant la fin de la lecture de son supérieur, que ce dernier n’y découvrirait rien de neuf. Laetitia Queneau avait toujours dorloté son amie, de plus elle était absente lors du crime, si crime il y avait. Mademoiselle Queneau incarnait l’innocence absolue.

Jérémy Moreau soupirait.

– Rien, évidemment.
– Nous allons être obligés de lui dire que nous avons lu son journal.
– La belle affaire ! Pour ce qu’elle y écrit ! Elle n’est pas près d’entrer dans la police, celle-là !
– Vous avez violé l’intimité d’une jeune fille.
– Si ce n’avait pas été moi, ç’aurait été vous… Après sa petite virée à Montargis, Laetitia Queneau épousera Bruno Fabre -ou un autre zozo de la même trempe- et se retirera dans la banlieue chic pour faire des enfants à la France.
– Et alors, dit Pommier sèchement, il n’y a rien de mal pour une femme à épouser quelqu’un de sensé et à élever correctement ses enfants.

Moreau pensa aux enfants propres et polis de Pommier et à sa petite femme qui vous accueillait ma foi fort bien avec son délicieux café (le meilleur qu’il ait jamais bu).
– Ah ! certes, Pommier, certes ! J’ai besoin d’un bon café, pas vous ? Quel dommage que madame votre épouse ne nous accompagne pas parfois dans nos enquêtes !


(Voir la suite Suite)

♦ Carzon Joëlle ♦

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